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Les conditions de travail des conducteurs de motos taxis

LES CONDITIONS DE TRAVAIL DES CONDUCTEURS DE MOTOS-TAXIS

Les contributions qui suivent ont été collectées sur le terrain par les 06 Experts du projet MOVIHCAM dans les villes suivantes : Bafoussam, Batouri, Douala, Kribi, N’Gaoundéré, Bertoua. Sur le thème ‘Conditions de travail chez les conducteurs de motos-taxis’, il a été demandé aux experts d’interviewer des conducteurs de motos taxis, des femmes, des élèves, des parents, des autorités municipales et judiciaires afin de relever les principales difficultés rencontrées par les conducteurs de motos-taxis dans l’exercice de leur profession. Les informations collectées permettent de mettre en évidence les principales tendances qui se dégagent (et qui très souvent se rejoignent) au sein d’une même population cible dans différents lieux géographiques. Ce document pourra ainsi contribuer à apporter des éléments de compréhension et fournir des arguments aux personnes, en particulier les pairs éducateurs, qui travaillent sur le terrain afin de convaincre avec plus d’efficacité les conducteurs de motos-taxis ainsi que les propriétaires de motos-taxis à prendre conscience du lien étroit qui existe entre la santé, les conditions de travail et le rendement au travail.

La tendance principale qui se dégage chez les conducteurs de motos-taxis est que bien qu’ils évoluent dans des conditions de travail difficiles et prennent quelques fois des risques sur la route, ils rendent un grand un service à la société et adoptent néanmoins des comportements responsables (usage systématique du préservatif avec les TS par exemple) en matière de sexualité et ceci malgré une vulnérabilité accentuée du fait de leur proximité avec les points chauds, de nombreuses rencontres quotidiennes dues à la pratique du métier, leur pouvoir d’achat et d’échange (course contre relations sexuelles).

En outre, l’étude CAP réalisée en 2016 par Moto Action révèle que les conducteurs de motos-taxis sont en général jeunes, célibataires, travaillent la nuit et sont de ce fait plus enclin aux relations avec les TS.

 

DETAILS DES REPONSES DONNEES

A la question avec qui rencontrez-vous le plus de difficultés ou qu’est-ce qui vous cause le plus de problèmes dans votre profession, les conducteurs de motos-taxis répondent que les autorités municipales (Douala, Kribi, Batouri), la police (Batouri, Kribi) sont au premier plan. Viennent ensuite les patrons ou propriétaires de motos-taxis (Batouri, Kribi, Bafoussam), les pannes de motos (Bafoussam, Batouri, Kribi) et enfin les clients et/ passagers (Douala, Batouri, Bafoussam). Par ailleurs, le mauvais état des routes (Bafoussam), le non-respect du code de la route par les usagers (Douala, Batouri), les vols de motos et agressions (Ngaoundéré), la non détention du permis de conduire (Batouri) font également partie des difficultés du quotidien des conducteurs de motos taxis.

Quant on leur demande ce qu’ils pensent de leur sécurité et de celle passager, ils avouent en matière de sécurité personnelle qu’ils ne portent pas toujours le casque. Les raisons qu’ils avancent sont des traumatismes causés par accidents de vue des collègues dus aux débris de casque (Douala) ou encore qu’ils trouvent le casque encombrant (Ngaoundéré) ; qu’ils remettent leur vie entre les mains de « Allah » (Douala, Ngaoundéré). En  matière de sécurité des passagers, ils reconnaissent qu’ils n’ont pratiquement rien qui pourrait les protéger en cas d’accident. Le seul moyen évoqué est la bonne conduite (vitesse réglementaire) et le respect du code de la route (Douala).  

En matière de dispositions prises pour assurer leur sécurité sur la route, ils révèlent utiliser les blousons pour se protéger des intempéries, des chaussures de sécurité et des gants (Douala, Batouri, Bafoussam). Pour certains, ils préfèrent remettre tout, une fois de plus, entre les mains de « Allah »[1] (Ngaoundéré). Pendant que pour d’autres, il est nécessaire de rouler à une vitesse normale pour mieux anticiper les obstacles, avant d’engager une manœuvre de dépassement ou à la traversée d’un carrefour (Bafoussam, Kribi) ou encore en saisons pluvieuses de prendre de temps en temps du repos ou des pauses afin d’éviter certains accidents. Par ailleurs, ils organisent souvent aussi des journées de «cantonnage »[2] pour pallier l’état des routes.

S’il y avait des actions, mesures ou initiatives à prendre ou à mettre en œuvre pour améliorer le travail du conducteur de motos-taxis, les propriétaires et conducteurs de motos-taxis avancent qu’il faudrait notamment que l’Etat les reconnaisse comme des travailleurs à part entière, que l’Etat diminue la corruption des policiers dans les carrefours et qu’on enlève les agents de la municipalité sur les routes (Douala) ; que les routes soient aménagées (Ngaoundéré), que les conducteurs s’inscrivent dans un syndicat de motos taxis (Ngaoundéré), que le port  du casque de sécurité soit une obligation(Ngaoundéré, Batouri, Bafoussam), que le conducteur soit identifié par son gilet et qu’il soit en règle sur le plan administratif (Ngaoundéré) ; qu’il soit organisé les séances de recyclage sur le code de la route; faciliter l’accès au permis de conduire; améliorer l’éclairage public pour lutter contre l’insécurité (Batouri). Par ailleurs, il serait nécessaire de leur créer des abris par secteur pour attendre les clients (Kribi) ou encore sensibiliser les conducteurs de motos-taxis à aller à l’auto-école et apprendre les règles élémentaires de la sécurité publique ; que la communauté urbaine crée des parkings pour le stationnement des motos en fonction des secteurs et de sensibiliser les conducteurs de motos- taxis sur la façon d’entretenir la clientèle qu’ils portent (Kribi).

Au sujet du rôle social joué par le conducteur de motos-taxis dans la communauté, les réponses sont unanimes. Ainsi, quand on demande aux propriétaires de motos-taxis, femmes, élèves, parents, autorités municipales quels services que les conducteurs de motos-taxis rendent à la société ou à la communauté, les réponses sont qu’ils assurent les déplacements des individus d’un coin à un autre, accompagnent nos enfants à l’école, escortent souvent nos autorités (Douala). Ils facilitent le déplacement en zone urbaine et rurale; apportent assistance aux personnes vulnérables et c’est une activité qui permet d’occuper les jeunes et contribuer par la même occasion à réduire l’oisiveté et le taux de chômage au niveau de la société (Batouri, Kribi). Ils sont rapides, car peuvent se faufiler face aux embouteillages causés par les voitures, ils peuvent amener et ramener les enfants/élèves de l’école à temps et sans problème, ils peuvent faire une course pour vous sans que cela ne nécessite votre présence comme par exemple aller vous déposer un paquet à la maison quand vous vous connaissez. Nous ne saurions oublier le fait qu’ils sont les premières personnes auprès de qui nous obtenons des informations portant sur des faits divers…(Bafoussam).  

Quant au regard porté sur eux au vu des services qu’ils rendent à la communauté, les uns et les autres  reconnaissent qu’ils sont très utiles malgré qu’ils soient des « casse – tête ». L’une des choses que les gens apprécient le plus, c’est qu’ils sont solitaires entre eux et jouent même souvent le rôle de gardien de la communauté. Ils interviennent aussi comme un seul homme à tout problème du carrefour (Douala). Pour certains, il faudrait même qu’ils puissent bénéficier d’une sécurité sociale pour assurer leur retraite (Batouri). Pendant que pour d’autres, ce sont des « SUPERMAN » et nous devrions leur accorder beaucoup de respect car ils sont d’un très grand apport dans la société (Bafoussam) et dans certaines zones d’ailleurs, la moto reste le seul moyen de déplacement, car il n’y a pas encore de taxis (Kribi).

Mais il existe quand même des maux régulièrement dénoncés à l’égard des conducteurs de motos-taxis. Il s’agit en l’occurrence qu’ils sont mal éduqués et insultent tout le monde (Douala, Kribi) ; ils agressent, violent ou tuent les passagers (Douala, Batouri) ; ils consomment de stupéfiants dont le tramol (Ngaoundéré, Bafoussam) ; ils ne sont pas en règle, ils ne respectent pas les règles élémentaires de la sécurité routière, car ne vont pas à l’auto-école pour acquérir, s’approprier des règles élémentaires de la sécurité routière(Kribi). Ils causent chaque jour des accidents et détournent les mineurs (Bafoussam).

En termes de solutions pour réduire ces comportements à risque, il faudrait selon les parents ou la police arrêter la vente le tramol. Il est important de sensibiliser toute la communauté par rapport à ce fléau sur le plan religieux, sur le plan social et dans les syndicats de motos-taxis (Ngaoundéré). Aussi faut-il que l’autorité administrative prenne sa part de responsabilité, qu’elle exige le port du casque aux conducteurs de motos-taxis (Ngaoundéré) et surtout traque ceux qui parmi eux qui sont des bandits et leur demander d’aller à l’auto-école (Kribi).

A la question quelle exploitation finalement de la moto comme moyen de transport et source de revenus pour les jeunes de votre communauté, les réponses se rejoignent. Il s’agit donc d’un métier qui génère de revenus et permet de lutter contre certains maux qui minent la jeunesse comme le chômage, la délinquance juvénile et l’oisiveté (Batouri). Cette activité permet également de responsabiliser les différents acteurs que sont les conducteurs de motos taxis à travers la prise en charge de leur famille, le paiement de leur loyer et leur subsidence (Bafoussam, Batouri) ou encore d’un métier qui nourrit son homme au quotidien, il renferme toutes les couches sociales (Ngaoundéré).

Mais, ils doivent également faire face à des menaces liées entre autres aux agressions dont ils sont également victimes, aux vols de motos, aux tracasseries avec les forces de l’ordre et les autorités municipales et aux accidents et risques d’accidents sur la route (Douala, Bafoussam, Kribi). Aussi, doivent-ils faire face au quotidien à la police qui leur reproche de ne pas faire les papiers, le non-respect des règles élémentaires de la sécurité routière et le non-respect des usagers de la route ; aux patrons qui ont un taux de versement des recettes journalières élevé et qui sont intransigeants dans la manière de le traiter ; aux autorités municipales qui leur reproche de ne pas payer les impôts et d’être quelquefois mal stationnés, et même aux multiples pannes de motos telles que les chaînes qui se coupent , les garnitures qui finissent, la bougie qui s’éteint, l’emballage du moteur, la consommation excessive du carburant faute de réglage du carburateur entrainant les pannes sèches, l’éclatement des roues, etc. (Kribi)

[1] Allah : est le mot arabe qui désigne « Dieu ». Littéralement, Allah signifie « Le Dieu » en langue arabe1. Par extension, Allah fait en général référence au nom de Dieu dans l’islam.

[2] Activité qui consiste à entretenir les choses (la route, le cas échéant), défricher, enlever les mauvaises herbes qui encombrent la chaussée dans certaines zones.